EN GRIMPANT AU MARGOUSIER
Ce n’est pas que je veuille vous mettre le spleen, mais permettez- moi cette petite réflexion sur la mort, ou plutôt sur les différentes façons de mourir. Il est indéniable que le fait de mourir dans son lit au cours d’une nuit de sommeil est de loin préférable à se faire écraser à vélo par un camion au sortir de son travail, ne serait-ce que par la souffrance évitée à soi -même, au triste spectacle qu’on donne aux quidams de passage et surtout au douloureux souvenir que ça va évoquer aux proches. Mais le réel objet de ma réflexion est ailleurs, car je m’interroge plutôt sur la noblesse de la mort, où l’une serait plus grandiose que l’autre. Arrêtez de piaffer, j’en arrive au fait ! Je viens de terminer le dernier polar du grand et talentueux Roger Jon Ellory , Les Neuf Cercles, l’auteur aussi deSeul le silence, Vendetta, et Les Anonymes et c’est encore une belle œuvre. Longtemps refusé par les éditeurs américains, il a fini par s’imposer, ne manquant jamais dans ses intrigues d’y inclure des personnages aux âmes fortes. Deux ombres au tableau, cependant ! D’abord, Ellory s’est fait pincer à publier sur le web et sous un pseudonyme, d’excellentes critiques sur ses propres romans tout en éreintant ceux de ses confrères de plume. Le deuxième os, c’est son appartenance à la secte de scientologie, mais à ce sujet, je laisse ce détail du cévé à votre appréciation. Il y en a bien chez nous qui militent à l’UMP ou au front national ! Mais ne nous égarons pas. Dans Les Neuf Cercles, le shérif Gaines, un ancien du Vietnam, enquête sur le meurtre d’une jeune fille tuée une vingtaine d’années auparavant et dont on retrouve le corps enterré dans la vase, exceptionnellement conservé. Parallèlement à ce récit, Gaines nous fait revivre par bribes sa sale guerre, et j’en arrive donc au fait. C’était à proximité de Nha Trang au pied des montagnes de Chu Yan Sin, un jour où la bataille avait laissé quelque répit aux Boys. Charles Binney, un tout jeune fantassin venu d’Alabama ou d’ailleurs avait entrepris de séduire une Vietnamienne en grimpant à un margousier. Devant l’enthousiasme et les rires de la jolie brune, Charles voulut en rajouter une couche en se grattant l’aisselle pour imiter le singe. Hélas, une seule main ne suffit pas à le tenir accroché dans l’arbre et sa grande carcasse s’écrasa au pied de l’arbre. Sa compagnie ne put le rapatrier dans l’immédiat et décida de l’enterrer sur place. Un beau matin, les parents de Charles reçurent un télégramme sous la forme d’un drapeau plié en quatre les informant que leur fils avait été abattu par un sniper alors qu’il cherchait un abri pour sa compagnie. On n’allait tout de même pas leur conter les circonstances réelles de la mort de leur fils, c’eut été grotesque, c’aurait manqué d’allure, de noblesse. Perdre la vie au Vietnam en faisant le singe pour draguer une fille, vous-rendez-vous compte !? Et bien je ne connais pas votre sentiment mais en ce qui me concerne, si l’on dût m’infliger la perte d’un fils ou d’un frère, je ne sais pas si je n’aurais pas souri tendrement, quelques années après bien sûr, en me souvenant qu’il avait perdu la vie au pied d’un arbre en batifolant avec une beauté Asiatique plutôt qu’en crevant noyé dans un marécage après un coup tordu.