D’UN PONT À L’AUTRE
Ça y-est, c’est fait ! Je l’ai finalement vu le viaduc de Millau ! Rien ne sert de courir… Je lui ai tiré le portrait sur toutes les coutures, mais on aura beau dire beau faire je garde ma préférence et toute ma tendresse au géant de pierre de Remoulins à qui je présente toutes mes excuses pour ne pas être allé en passant le saluer une millième fois.
Photo Gilren ( mars 2015)
" Cependant mon grand-père, qui n'était pas « monsieur l'aîné », n'hérita pas de la cartonnerie, et il devint, je ne sais pas pourquoi, tailleur de pierres. Il fit donc son tour de France, et finit par s'établir à Valréas, puis à Marseille.
Il était petit, mais large d'épaules et fortement musclé.
Lorsque je l'ai connu, il portait de longues boucles blanches qui descendaient jusqu'à son col, et une belle barbe frisée.
Son autorité sur ses enfants avait été redoutable, ses décisions sans appel. Mais ses petits-enfants tressaient sa barbe, ou lui enfonçaient, dans les oreilles, des haricots.
Il me parlait parfois, très gravement, de son métier, ou plutôt de son art, car il était maître-appareilleur.(...)
Dès qu'il avait un jour de liberté - c'est à dire cinq ou six fois par an - il emmenait toute la famille déjeuner sur l'herbe, à cinquante mètres du pont du Gard.(...)
Après le déjeuner, il s'asseyait dans l'herbe, devant la famille en arc de cercle, en face du chef-d'œuvre millénaire, et jusqu'au soir, il le regardait.
C'est pourquoi, trente ans plus tard, ses fils et ses filles, au seul nom du pont du Gard, levaient les yeux au ciel, et poussaient de longs gémissements."
Marcel Pagnol ( La gloire de mon père)