MALEFICIUM

On a tous eu à un moment de notre vie le désir ou le fantasme d’écarter un gêneur, un empêcheur de tourner en rond  . Sans aller jusqu’à l’acte bien sûr , à moins cependant de le faire endosser par un tiers, lâches que nous sommes .Combien de soupirants n’ont ils pas souhaité un petit malheur à ceux qui avaient la préférence de celles qu’ils convoitaient .Quel petit employé d’une administration n’a pas souhaité un jour à son chef de service une belle glissade dans les escaliers avec bris de vertèbres en prime . Combien d’élèves ont-ils plus modestement souhaité une petite maladie à leur prof parce qu’ils n’avaient pas appris  ce jour là leur leçon .   Je racontais l’autre soir un  épisode vécu en pension, qui nous avait amenés mes camarades et moi, à une entreprise maléfique . Nous avions pour surveillant, dans le dortoir 7, une espèce de grand rouquin boutonneux qui nous menait la vie dure . Les surveillances d’études et de dortoir étaient assurées par les élèves les plus âgés  qui en terminaient avec la pension . C’était bien sûr, parmi tant d’autres, une des grossières erreurs de jugement de la direction . La plupart de ces surveillants n’avaient aucune notion  de pédagogie, et il nous fallait en  passer par là . Ce dégénéré ne se lassait pas de nous harceler, nous les merdeux de sixième . Il me souvient qu’une nuit d’hiver, dans ce dortoir gelé , il nous avait réveillé , lui et son comparse, avec de grands coups de sifflet , nous faisant croire qu’il était sept heures du matin . Aucun de nous ne portait de montre, et c’est une fois le visage barbouillé de savon sous cette eau gelée du lavabo en tôle, long comme un abreuvoir, qu’ils nous traitèrent de petits cons et nous dirent d’aller nous recoucher . Il était en fait une heure du matin . Cette nuit là, Barbarin le rouquin avait signé sans le savoir son contrat d’emmerdes . Ce n’est que quelques jours plus tard, qu’avec Esmenard, Drobecq, et Gervazon, nous tînmes un conseil de guerre pour tenter d’enrayer les saloperies de notre tortionnaire . Avec les qualités d’usurpateur qui m’ont toujours habité, je sortis de ma poche une photo que j’avais arrachée au tableau des résultats sportifs . Barbarin y trônait avec quatre autres joueurs de l’équipe de basket de la pension . J’avais déjà entendu parler de ces procédés  vaudou et mes copains ne mirent pas longtemps à rentrer dans mon jeu . Esmenard  me fournit un clou et avec des incantations de sioux, je le plantai avec rage et détermination sur l’abdomen de Barbarin . Le cliché s’en retrouva avec un énorme  trou . Nous étions ce jour là dans la première quinzaine de janvier et nous oubliâmes vite ce jeu puéril auquel nous avions participé . Ce n’est qu’à l’époque des giboulées de mars que notre vieil ami Barbarin fut pris en pleine nuit de violentes douleurs au ventre . Le surveillant adjoint le traîna je ne sais plus comment vers l’infirmerie, nous intimant l’ordre de rester tranquilles . Ce fut alors dés le lendemain un enchaînement médical qui fit de moi le sorcier de ma section . Barbarin fut conduit d’urgence à l’hôpital où les médecins diagnostiquèrent une péritonite d’une grande ampleur . Il fut opéré à trois reprises, et vous pensez bien que jusqu’aux vacances d’été nous en fûmes débarrassés . L’année scolaire suivante ne nous importait plus puisqu’il  avait atteint la limite d’âge .

Au terme de cette confession,  les quelques amis attablés avec moi  n’ont pas manqué de me remettre en situation . « Si tu as de tels pouvoirs, peut-être pourrais-tu faire un geste en ce qui concerne les prochaines élections présidentielles ? Ce ne sont pas les photos qui manquent dans la presse ! » Mes amis ont de la suite dans les idées  et figurez vous que j’y ai songé moi aussi  . Mais à bien y réfléchir,  en usant de mes pouvoirs,  n’y a-t-il pas danger à ce que j’en fasse un martyr ?