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Blog AMERTUME
22 octobre 2007

ELLE ENTEND SIFFLER LE TRAIN

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Quand j’ai connu Mathilda, elle devait avoir neuf ans et moi deux de plus . Elle habitait avec ses parents sur la ligne du Paris Vintimille , une petite maison en pierres où sa maman Jennie exerçait les fonctions de garde barrière . La famille était estampillée SNCF, puisque son papa était lui cheminot . Mathilda vécut toute son enfance et son adolescence au rythme des trains qui empruntaient la voie et venaient effleurer sa maison . Quand elle était à sa petite table de travail, ses crayons et stylos tressautaient à chaque passage d’un convoi et on aurait dit que la maison allait se détacher de ses fondations . Antoine qui était un homme placide et empreint de tolérance ne se plaignait jamais. Les jours de repos, il disait ironiquement qu’il en sortait pour y retourner mais il n’y avait pas de lamentations excessives . Il régnait dans cette maisonnette une atmosphère familiale chaleureuse et Antoine apportait à ses deux petites femmes chéries comme il les appelait, une tendresse sans bornes . Les aiguilles de la pendule de la petite salle à manger étaient  étroitement associées avec les passages successifs  des machines et n’en déplaise à Richard Anthony, les trains sifflaient le jour comme la nuit . Le Vintimille passait à 23 h 07 juste à l’heure où Mathilda commençait à sombrer dans le sommeil . Puis c’était un express régional qui secouait sa chambrette à 5h 03 . Celui là était le plus dur à accepter car elle devait se lever une heure plus tard et elle appréhendait de s’endormir de crainte de s’oublier pour le car de ramassage scolaire . Et qui dans l’ombre oeuvrait pour protéger le passage des trains ? Jennie bien sûr qui trois à quatre fois par nuit allait actionner le mécanisme de l’abaissement de la barrière . Aucune fois , elle ne fut prise à défaut et les horaires des passages étaient gravés dans sa tête devenue avec le temps un almanach de chemin de fer . C’est dans l’année 1969, un soir de juin que le drame se produisit . Chacun était couché et s’apprêtait à s’endormir lorsque une tempête s’annonça . Jennie s’inquiétant pour son linge étendu dans leur petit jardinet, c’est Antoine présent ce soir là qui sortit sous les rafales pour aller le ramasser en hâte . Jennie se rallongea et au bout de quelques instants, elle comprit vite qu’il se passait quelque chose. Il s’échange souvent entre des êtres qui ont vécu longtemps ensemble des sensations mutuelles de prémonition . Elle enfila un peignoir et rejoignit Antoine,qu'elle trouva étendu près de l’étendage. Ses mains noueuses étreignaient une chemise . Il venait de mourir. Les jours et les mois qui suivirent furent douloureux pour Mathilda et sa maman et  cette année là, je n’ai pas rejoint ce petit coin de vacances où j’étais accueilli chez ma marraine dans la campagne de Briançon , tout près de la maison de Mathilda . Bien que ce fut indépendant de ma volonté, je me blâme encore aujourd’hui d’être resté éloigné d’elle alors que je lui portais tellement d’amour . Nous avions passé six mois de juillet successifs  sous la bénédiction de ses parents qui m’avaient en grande affection à courir la garrigue et à faire les fous dans les rues du village . Nous aidions à la moisson pour gagner quelque argent de poche. Et puis, le suprême délice,certains après midis on s’asseyait souvent le long de la voie , derrière le grillage , à regarder passer les trains, de l’herbe jusqu’au cou , nous racontant des histoires de voyage jusqu’ au bout du monde .

Antoine avait bien fait les choses pour ses petites chéries . Peu sûr de sa longévité, craignant de les laisser un jour démunies de tout, il avait su préparer un plan d’assurance vie qui assura à Jennie une retraite anticipée . Elle restitua bien vite la concession de garde barrière et partit s’installer  avec Mathilda dans un petit pavillon du côté de Cagnes sur Mer . Mathilda avait alors seize ans et elle poursuivit ses études dans la région pour devenir infirmière . Avant le mois dernier, je ne l’avais pas revue depuis quarante années. Nous avons toujours suivi à distance l’un et l’autre  nos chemins respectifs par l’intermédiaire des descendants de ma marraine aujourd’hui disparue. Comment des relations aussi fortes peuvent-elles se briser ainsi dans une feinte indifférence ? Pourquoi finit-on  par trouver ailleurs ce qu’on a déjà près du cœur . Avant de sonner à son portail, je m’étais signalé vous vous en doutez bien . Elle habite une petite maison aux portes de Bordeaux qu’elle partage avec son mari et ses deux enfants, un garçon et une fille âgés respectivement de 20  et 22 ans . L’aînée s’apprête à les quitter pour s’installer avec son ami . Elle était seule cet après midi là et son accueil a été chaleureux . Nous nous sommes embrassés comme de vieux amis et avons évité les formules d’usage qui disent toujours  qu’on n’a pas changé . J’ai mieux aimé ça car il faut reconnaître que l’homme svelte que j’étais a un peu forci ces derniers temps . Elle m’a appris le décès de Maman Jennie l’année dernière en me rassurant qu’elle était partie dans la sérénité, sans souffrir . Autour de nos verres de citronnade, sous la véranda, nous avons évoqué les souvenirs de nos tendres années , avec recul et détachement, continuant à feindre pour éviter de larmoyer . Puis un bruit fort de roulement cahotant s’est fait entendre et m’a fait sursauter . En m’effleurant le bras et souriant, elle m’invita à ne pas m’inquiéter car c’était seulement le rapide de 15 h 10 pour Bayonne . Elle m’a confié qu’ils avaient , elle et son mari acheté cette maison en ignorant complètement qu’une voie de chemin de fer passait à cent mètres de chez eux et que tout ça ne la dérangeait pas du tout . Elle m’a raconté aussi que le groupement des riverains l’avait sollicitée pour une pétition réclamant la construction d’un mur antibruit et qu’elle leur avait signifié une fin de non recevoir . Ils en ont été paraît-il complètement abasourdis la prenant un peu pour une folle quand elle leur a annoncé tout de go que le passage des trains , c’était un grand pan de sa vie dont elle ne voulait pas se détacher . Je pensais en moi même que c'était pour elle en quelque sorte un retour aux sources . Et pour en finir sur ses confessions, elle m’a dit regretter que son père n’ait pas connu le TGV pour pouvoir le conduire à bon port . De mon côté, en la quittant , une fois dans la voiture, j’ai regretté de ne pas lui avoir confessé que durant ces quarante dernières  années passées , je n’avais jamais pu m’empêcher de penser à elle en entendant un train passer, et cela de jour comme de nuit .

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