N. LE PETIT
Napoléon III est à la mode de chez nous. Calendrier oblige puisque le neveu fête cette année le bicentenaire de sa naissance. Les éditeurs ressortent donc les biographies et les essais et une nouvelle escouade d’historiens vient en rajouter. Il semble que ces derniers font plutôt dans l’adulation tentant de nous persuader que cet homme tant décrié valait bien mieux que ce qu’on en disait. Sans préjugés, l’Histoire quant à elle nous rappelle que son règne commença par un coup d’Etat en 1851 et par la défaite de la France contre la Prusse en 1870. Victor Hugo ne l’aimait pas beaucoup et l’avait surnommé : « Napoléon le Petit. » Sans vouloir médire, j’ai ma petite idée sur l’intérêt qu’on porte soudain à ce petit monarque républicain que l’on ressort des oubliettes.
Ainsi parlait Victor Hugo de Napoléon III. Toute ressemblance avec une personne existante est d’une évidence flagrante.
« Et voilà par quel homme la France est gouvernée ! Que dis-je, gouvernée ? Possédée souverainement ! Et chaque jour, et tous les matins, par ses décrets, par ses messages, par ses harangues, par toutes les fatuités inouïes qu’il étale dans le Moniteur, cet émigré, qui ne connaît pas la France, fait la leçon à la France ! Et ce faquin dit à la France qu’il l’a sauvée ! Et de qui ? D’elle-même ! Avant lui la Providence ne faisait que des sottises ; le bon Dieu l’a attendu pour tout remettre en ordre ; enfin il est venu ! Depuis trente-six ans il y avait en France toutes sortes de choses pernicieuses : cette " sonorité," la tribune ; ce vacarme, la presse ; cette insolence, la pensée ; cet abus criant, la liberté ; il est venu, lui, et à la place de la tribune il a mis le sénat ; à la place de la presse, la censure ; à la place de la pensée, l’ineptie ; à la place de la liberté, le sabre ; et de par le sabre, la censure, l’ineptie et le sénat, la France est sauvée ! Sauvée, bravo ! Et de qui ? Je le répète, d’elle-même ; car, qu’était-ce que la France, s’il vous plaît ? C’était une peuplade de pillards, de voleurs, de Jacques, d’assassins et de démagogues. Il a fallu la lier, cette forcenée, cette France, et c’est M. Bonaparte-Louis qui lui a mis les poucettes. Maintenant elle est au cachot, à la diète, au pain et à l’eau, punie, humiliée, garrottée, sous bonne garde ; soyez tranquilles, le sieur Bonaparte, gendarme à la résidence de l’Elysée, en répond à l’Europe ; il en fait son affaire ; cette misérable France a la camisole de force, et si elle bouge !...—Ah ! Qu’est-ce que c’est que ce spectacle-là ? Qu’est-ce que c’est que ce rêve-là ? Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar-là ? D’un côté une nation, la première des nations, et de l’autre un homme, le dernier des hommes, et voilà ce que cet homme fait à cette nation ! Quoi ! Il la foule aux pieds, il lui rit au nez, il la raille, il la brave, il la nie, il l’insulte, il la bafoue ? Quoi ! Il dit : il n’y a que moi ! Quoi ! Dans ce pays de France où l’on ne pourrait pas souffleter un homme, on peut souffleter le peuple ! Ah ! Quelle abominable honte ! Chaque fois que M. Bonaparte crache, il faut que tous les visages s’essuient ! Et cela pourrait durer ! Et vous me dites que cela durera ! Non ! Non ! Non ! Par tout le sang que nous avons tous dans les veines, non ! Cela ne durera pas ! Ah ! Si cela durait, c’est qu’en effet, il n’y aurait pas de Dieu dans le ciel, ou qu’il n’y aurait plus de France sur la terre.