WEEK-END EN CORBILLARD

Georges n’est pas le genre à s’auto flageller avec les principes et le regard des autres. Employé aux pompes funèbres, croquemort pour tout dire, il est parti avec sa compagne Arlette en week-end dans le Périgord avec le fourgon funéraire de l’entreprise. C’est sûr que vous avez déjà eu l’occasion d’en rencontrer  de ces gugusses qui vont et viennent en fin de semaine dans leur véhicule de fonction estampillé au nom de l’entreprise. Mais de là à prendre du bon temps  avec le camion des morts, il n’y a que Georges pour franchir le pas. Il n’a même pas songé un instant que si la nouvelle venait à transpirer aux oreilles de son patron, il pouvait dire adieu à la profession. Il n’habite pas très loin de chez moi et il est convenu avec l’entreprise qu’il puisse rentre chez lui le soir avec  en fin de semaine sans pour autant qu’il aille se pavaner par monts et par vaux. Il s’agit juste d’une mesure de facilité pour lui éviter de regagner chaque matin le boulot avec sa voiture personnelle. Et les riverains ne sont pas toujours ravis de stationner à ses côtés dans le parking. Probablement par superstition !  Ils préfèreraient une voiture à la marque de Ricard ou Cochonou.   Son camion vous  donne la chair de poule et même les idées noires. Y- en a même qui disent que ça dégage une odeur.  Pour ma part, je n’ai jamais rien remarqué. Faut dire que je fais toujours un large détour pour l’éviter  tandis que d’autres se signent en passant à ses côtés, probablement pour conjurer le mauvais sort. Mais quand vendredi dernier, en début d’après- midi Georges et Arlette ont chargé le camion avec le matériel de camping et arrimé les vélos à l’arrière, je peux vous dire qu’il y avait du monde aux fenêtres. Pas gênés du tout les deux tourtereaux, Arlette, le cul moulé dans son short en jean  et Jojo en marcel  et bermuda. Il est vrai que septembre et octobre ont été particulièrement beaux et que ça va en faire réfléchir plus d’un pour les prochains congés payés. Et dans la gêne, Georges n’a pas de plaisir ! Tout à sa joie,  il n’a même pas hésité en partant à saluer l’environnement avec quelques coups de klaxon tonitruants. C’est à leur retour que j’ai pris la photo de leur embarcation et Georges m’a conté leur périple. « Génial ! Depuis le temps qu’on rêvait d’un camping- car avec Arlette ! C’est pas aussi bien équipé que le standard mais on peut y faire sa vie tranquille !  Et c’est pas la mort de se passer de banquettes couchettes  quand on est carrément mieux sur un matelas deux places posé à même le sol. Pour le petit- dèj ,on avait un petit camping-gaz pour se faire chauffer le ricoré,  et vu la clémence du temps, et la nature de la chambrée,  on s’est mis au buffet froid matin et soir. Pour Arlette, les nuits ont été un peu plus agitées. Un manque d’accoutumance à l’environnement, probablement. Alors que moi, je dormais comme un loir,  elle a fait des cauchemars  jusqu’à se dresser sur la couche. Elle entendait des voix comme venues d’outre -tombe qui murmuraient à son oreille et elle  ressentait même comme des chatouillis sur la plante des pieds. C’est ton imagination qui se joue de toi lui ai-je dit, mais à sa décharge, il faut dire qu’il en passe tellement du monde dans ce fourgon que certains veulent se rappeler à mon bon souvenir ! Va même savoir s’ils vont pas me cafter au patron ! »